LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 avril 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 637 du 20 avril 2022), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'établissement public La Monnaie de Paris par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-999 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 113-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, et du premier alinéa de l'article 186-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale ;
- la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'établissement public requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 9 mai 2022 ;
- les observations présentées pour l'association Sos monnaie, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l'établissement public requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 23 mai 2022 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Blandine Thellier de Poncheville, avocate au barreau de Lyon, et Me Hélène Farge, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'établissement public requérant, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 7 juin 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 113-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 mai 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le témoin assisté bénéficie du droit d'être assisté par un avocat qui est avisé préalablement des auditions et a accès au dossier de la procédure, conformément aux dispositions des articles 114 et 114-1. Cet avocat est choisi par le témoin assisté ou désigné d'office par le bâtonnier si l'intéressé en fait la demande.
« Le témoin assisté bénéficie également, le cas échéant, du droit à l'interprétation et à la traduction des pièces essentielles du dossier.
« Le témoin assisté peut demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'article 82-1, à être confronté avec la ou les personnes qui le mettent en cause ou formuler des requêtes en annulation sur le fondement de l'article 173 ».
2. Le premier alinéa de l'article 186-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les parties peuvent aussi interjeter appel des ordonnances prévues par le neuvième alinéa de l'article 81, par les articles 82-1 et 82-3, et par le deuxième alinéa de l'article 156 ».
3. L'établissement public requérant reproche à ces dispositions de ne pas permettre au témoin assisté d'interjeter appel de la décision de refus du juge d'instruction de constater la prescription de l'action publique, alors qu'un tel droit est ouvert à la personne mise en examen. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant la justice ainsi que du droit à un recours juridictionnel effectif.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et 82-3 » figurant au premier alinéa de l'article 186-1 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
6. L'article 82-3 du code de procédure pénale permet à une personne mise en examen ou à une personne placée sous le statut de témoin assisté de saisir le juge d'instruction d'une demande tendant à voir constater l'acquisition de la prescription de l'action publique.
7. Les dispositions contestées de l'article 186-1 du code de procédure pénale prévoient que les parties peuvent interjeter appel des ordonnances prises en application de l'article 82-3 du même code. À ce titre, la personne mise en examen a le droit d'interjeter appel de l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction refuse de constater la prescription de l'action publique. En revanche, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle résulte de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, un tel droit n'est pas ouvert au témoin assisté.
8. Conformément à l'article 113-5 du code de procédure pénale, le témoin assisté ne peut pas, à la différence de la personne mise en examen, être placé sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire, ni faire l'objet d'une ordonnance de renvoi ou de mise en accusation devant une juridiction de jugement. Il n'est pas ainsi dans une situation identique à celle de la personne mise en examen au regard de la prescription de l'action publique. Dès lors, le législateur peut, sans méconnaître le principe d'égalité devant la justice, prévoir des règles de procédure différentes pour la personne mise en examen et le témoin assisté aux fins de constater la prescription de l'action publique.
9. Toutefois, en application de l'article 82-3 du code de procédure pénale, la demande tendant à voir constater la prescription de l'action publique doit être présentée dans les six mois suivant la mise en examen ou la première audition comme témoin assisté. Cette forclusion demeure opposable à une personne initialement placée sous le statut de témoin assisté qui est ensuite mise en examen. Ainsi, lorsqu'elle a été précédemment placée sous le statut de témoin assisté, une personne mise en examen peut être privée du droit d'interjeter appel de la décision de refus du juge d'instruction.
10. Il en résulte une distinction injustifiée entre les personnes mises en examen, selon qu'elles ont précédemment eu ou non le statut de témoin assisté.
11. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la justice. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver les parties du droit d'interjeter appel des ordonnances rendues par le juge d'instruction sur le fondement de l'article 82-3 du code de procédure pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 mars 2023 la date de leur abrogation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et 82-3 » figurant au premier alinéa de l'article 186-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 juin 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 17 juin 2022.